Du discours à la table : vers des systèmes alimentaires qui nourrissent l’Afrique
Du 31 août au 5 septembre, Dakar a accueilli le Africa Food Systems Forum (le Forum des systèmes alimentaires africains) sous la présidence de Bassirou Diomaye Faye. Le thème — Jeunesse africaine : Fer de lance de la collaboration, l’innovation et la transformation des systèmes alimentaires africains — était à la fois opportun et urgent. Le Forum a rappelé que l’avenir alimentaire de l’Afrique ne se décide pas dans les salles de conférence, mais dans les assiettes de millions de familles.
Au sein des discours de transformation de la conférence se cachait une réalité frappante : trop d’Africains restent mal nourris. En 2024, plus de 307 millions d’africains étaient sous-alimentés, ceci est 20% de la population africaine. Les prédictions estiment qu’en 2030, presque 60% des personnes qui souffrent de faim chronique seront africaines. Plus d’un milliard de la population mondiale n’ont pas les moyens de se nourrir de façon équilibrée et pour de nombreux foyers, les calories les moins chères se trouvent dans la nourriture ultra-transformée – des aliments qui soulagent la faim, mais qui font augmenter également les taux de malnutrition.
Dans ces circonstances, ce sont malheureusement nos enfants et nos jeunes auxquels la situation coûte la plus chère; la même jeunesse qui formera le futur de nos systèmes alimentaires. Presque un tiers d’enfants africains auront un retard de croissance, ce qui provoque des difficultés physiques et cognitives bien avant qu’ils deviennent adultes. 6% sont dangereusement maigres, et en Afrique de l’Est et l’Afrique subsaharienne, 13 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë, dont plusieurs ont besoin de la nourriture thérapeutique. Ces données sont représentatives des vies et des avenirs perdus, compromis même avant qu’ils commencent.
Ces défis ne relèvent pas seulement de choix individuels. Le changement climatique détruit les récoltes par des inondations et des sécheresses. Les conflits déplacent les agriculteurs. La hausse des prix pousse des familles à choisir entre manger pour survivre ou bien se nourrir correctement. Quand survivre devient la priorité, la nutrition en souffre.
Mais Dakar a également mis en lumière des solutions qui prouvent que la transformation est possible. Partout sur le continent, de jeunes innovateurs développent l’agriculture intelligente face au climat, des semences résistantes à la sécheresse et des applications reliant directement les agriculteurs aux marchés. Les gouvernements renforcent la fortification alimentaire et les programmes de cantines scolaires qui nourrissent les enfants tout en dynamisant les économies locales.
Les politiques donnent aussi des résultats. La taxe sur les boissons sucrées au Ghana, soutenue par le IDRC ( International Development Research Centre), a réduit la consommation tout en finançant des programmes de santé, un exemple clair de la manière dont les outils fiscaux peuvent orienter les choix alimentaires vers des régimes plus sains.
L’innovation est un autre point fort. Les cultures bio fortifiées de HarvestPlus — patates douces riches en vitamine A, haricots enrichis en fer — sont désormais des aliments de base dans des millions de foyers, améliorant la nutrition à travers le continent. Le mouvement Smart Food de l’ICRISAT (International Crops Research Institute for the Semi-Arid Tropics) redonne vie à des cultures traditionnelles et résilientes au climat comme le mil et le sorgho, tout en autonomisant les femmes entrepreneures qui les transforment et les commercialisent. Ce sont des solutions africaines avec une pertinence mondiale.
Cependant, l’investissement reste l’élément absent. Des organisations comme GAIN (Global Alliance for Improved Nutrition) ont montré qu’une alimentation nutritive peut être à la fois durable et rentable en soutenant les petites et moyennes entreprises. Mais pour atteindre les populations les plus éloignées, l’Afrique a besoin de davantage de financements mixtes, d’infrastructures et de capitaux à risque pour démultiplier les solutions prometteuses.
Le Forum a été clair: l’Afrique ne peut pas se permettre un nouveau cycle de grandes déclarations. Ce qu’il faut désormais, c’est de l’engagement et de la responsabilité — pour aligner politiques, innovation et investissements afin que les aliments nutritifs soient accessibles et abordables pour tous.
C’est le moment où l’Afrique passe du discours à l’action. Car l’avenir de nos systèmes alimentaires se joue déjà, dans les foyers des jeunes mères à Lagos, dans les cantines scolaires de Nairobi, dans les champs des petits exploitants du Niger.
Le défi est immense. Mais l’opportunité l’est tout autant: bâtir un système alimentaire qui nourrit, autonomise et soutient l’Afrique pour les générations à venir.